Christiane Filliatreau est une céramiste réputée dont le travail se caractérise par une technique minutieusement acquise et développée dans son atelier. Elle s’efforce d’ajuster au mieux la forme à l’idée et met sa technique au service de son inspiration.
Bien que cela ne soit pas explicitement abordé dans le texte, il est important de souligner que l’abstraction des formes est souvent présente dans la recherche artistique de Filliatreau. Cela implique une rigueur incontournable dans la sélection des matériaux tels que les terres et les grès, qui peuvent servir de multiples sources d’inspiration. Au lieu d’utiliser le tour de potier, elle préfère les techniques de modelage à la main, comme la technique des boulettes et des colombins, qui mettent l’accent sur le geste et le toucher des doigts. Elle palpe, roule, presse, arase, lisse et assemble les éléments. Si les doigts s’étirent et se munissent de ventouses et de cellules tactiles, le cerveau rejoint le bout des doigts, donnant naissance à une créature avisée, telle une pieuvre nommée « l’avantis ». La sensation du sculpteur a engendré la forme.
Cependant, la création ne se limite pas à l’émergence de l’existence, il est également nécessaire d’atteindre la forme désirée par le processus de création. Christiane souligne toujours l’importance de bien finir l’intérieur des pièces avant de les considérer comme achevées, afin de ne plus avoir à y revenir. Ce processus de maturation lent et parfois douloureux finit par entraîner, à un moment donné, la rupture de l’unité initialement pressentie, la séparation. C’est une fracture inévitable qui sépare ouvertement deux blocs qui semblaient initialement conçus dans un rêve illusoire d’unité première. Pour prendre ses distances avec l’œuvre qui est née d’elle-même, il est nécessaire de la considérer comme un Autre, de la confronter directement, puis de l’observer avant de procéder aux finitions.
Cette phase va bien au-delà de la simple décoration et amène l’œuvre au bord extrême du sens et de sa finalité, tels qu’ils ont été pressentis au moment de la conception. Accompagnant avec une extrême attention le processus de création dans l’argile molle et brute, puis celui de la disparition progressive des traces tangibles d’existence, la main de l’artiste s’arme d’outils tranchants. Elle pique, perce, cisaille et accompagne le processus de révélation des œuvres, où l’ombre et la lumière jouent leur rôle, tout comme les gravures de lignes qui s’incrustent et fuient. Ces lignes peuvent finir par disparaître, vaincues par leur discontinuité et leur fragilité, pour réapparaître peut-être ailleurs. Le Temps est à l’œuvre.
Les lignes, continues ou discontinues, et les pointillés gravés dans l’argile friable sont souvent des signatures présentes dans les œuvres de Christiane. Elles agissent comme une trace de présence et d’inscription dans le temps de la création et de la durée de l’existence. Elles ressemblent à des partitions étranges ou à des almanachs pétrifiés, figeant l’évolution au fil du temps, tout comme les graphiques du cerveau ou du cœur qui révèlent leur rythme, leur musique ou même la loi inéluctable de la vie et de la mort qu’ils représentent.